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Première mobilisation nantaise pour dénoncer la loi « séparatisme » et l’islamophobie d’État

Près de 200 personnes ont pris part à la manifestation, répondant à un appel national contre le projet de loi visant à « conforter le respect des principes de la République ».

Dimanche 21 mars à 15h, sous un ciel gris uniforme et dans la fraîcheur, quelques centaines de personnes se sont rassemblées sur le parvis des Nefs, pour une manifestation à l’initiative des collectifs Black Lives Matter Nantes et Nantes en Commun·e·s. Une mobilisation d’ampleur nationale, impulsée par le Front contre l’islamophobie à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la discrimination raciale. L’enjeu de cet appel : s’opposer au texte et informer sur la nature dangereuse du projet de loi, passé en première lecture à l’assemblée nationale le 16 février dernier.

Fin juillet, Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la citoyenneté, annonçait sur France Info ce projet de loi pour la rentrée, visant à « définir très clairement ce qui a pour projet de s’organiser en marge de la République contre la République et de lui porter atteinte. Plus que l’islam radical c’est l’islam politique » qui était alors ciblé. Dans cette interview, la ministre évoquait pêle-mêle les écoles hors-contrat ou encore l’excision : « Par exemple, vous avez des groupes en France qui considèrent que exciser des petites filles au titre de coutumes, c’est normal et se fichent que les lois de la République interdisent l’excision. Nous voulons empêcher ces groupes d’agir », annonçait ainsi la ministre. Or, l’excision étant déjà interdite, comment expliquer que ces prétendus « groupes » puissent perpétuer de telles pratiques sans être démantelés et condamnés ? Une fois de plus, la ministre a fait bon usage de la rhétorique de la menace intérieure, qui permet d’affirmer, sans preuve ni argument et sans les nommer directement, que ce sont bien les personnes de confession musulmane qui sont un danger pour l’intégrité de la république française. Ce texte est donc une opportunité de plus, comme la loi « Sécurité Globale », d’étendre le contrôle et l’action du pouvoir exécutif dans différents domaines de la société et plus particulièrement vis-à-vis de la population musulmane de France. Ainsi toujours fin juillet, la ministre déléguée affirmait par exemple : « Nous devons aussi travailler main dans la main avec le maire, comme nous l’avons fait pendant la période de confinement. Ce couple maire-préfet a très bien fonctionné et je crois que nous devons renforcer ce travail de partenariat, en soutien à des maires parfois démunis face à ces actions ». Représentant·e de l’État sur un territoire défini et nommé·e par le/la président·e de la République, le/la préfet·e met en œuvre les politiques publiques et coordonne services et politiques de l’État, tout en contrôlant la légalité des actes administratifs des pouvoirs publics. Un partenariat déséquilibré où le/la maire·sse deviendrait donc encore un peu plus un·e auxiliaire du/de la préfet·e dans l’application de directives gouvernementales, au mépris du respect des compétences de chacune de ces institutions.

Le rassemblement du 21 mars dernier a débuté par plusieurs prises de parole, audibles dans notre podcast ci-dessus. Citant notamment Frantz Fanon dans son livre « L’an V de la révolution algérienne », Margot Medkour, tête de liste aux dernières élections municipales pour Nantes en commun·e·s, a insisté sur cette vision fantasmée du/de la musulman·e, intimement liée au colonialisme en Afrique du Nord et plus particulièrement en Algérie. Le port du foulard, à l’époque de la colonisation, était déjà un enjeu majeur de domination, marqueur de la volonté d’acculturation des peuples présents en Afrique du Nord. Les campagnes de « dévoilement » menées à l’époque sous couvert de libération de « la femme musulmane » étaient ainsi un outil au service de la colonisation, l’administration française ayant compris à l’époque le rôle prépondérant des femmes dans ces sociétés. Après l’intervention de BLM Nantes, deux jeunes filles musulmanes ont clôt les prises de parole, moment hautement symbolique et particulièrement important. En effet, concernant la question du port du foulard, les personnes concernées sont très rarement consultées, alors qu’elles sont les seules légitimes à pouvoir s’exprimer quant à ce choix personnel. Elles ont donc pu faire part de leurs ressentis quant à l’oppression quotidienne qui pèsent sur elles et ont aussi rappelé que cette question devait être un enjeu des luttes féministes, étant un choix intime relevant de la simple liberté individuelle, dans un pays se revendiquant comme laïc.

La manifestation s’est dirigée vers le centre-ville après ces prises de parole. Longeant le TGI puis empruntant la passerelle Victor Schoelcher, le cortège est ensuite passé par la place Petite Hollande, scandant des slogans antiracistes et contre les forces de l’ordre, sous les yeux d’agent·e·s de police stationné·e·s sur le parking. Les manifestant·e·s ont par la suite emprunté la rue Jean-Jacques Rousseau, pour aboutir devant le théâtre Graslin occupé par les professionnel·le·s du monde de la culture, devant lequel artistes et spectat·eurs·rices étaient rassemblé·e·s pour un moment festif et musical. La jam s’est interrompue le temps d’une nouvelle prise de parole, introduite par un·e militant·e occupant·e le théâtre depuis plus d’une dizaine de jours. Iel a ainsi fait le lien entre la lutte contre la loi « Séparatisme » et la défense du monde associatif et culturel, directement visé par l’article 6 du projet de loi. En effet, un tel article viendrait accentuer et requestionner les difficultés de financement du monde culturel, déjà soumis aux politiques culturelles des différentes institutions et donc à leur couleur politique, en imposant aux associations la signature d’un « contrat d’engagement républicain ». Lae militant·e a aussi rappelé que les institutions artistiques et culturelles étaient également des lieux de reproduction des violences racistes et sexistes et des discriminations de classe, condamnant cet état de fait et réaffirmant l’indispensable convergence de ces luttes. La manifestation s’est terminée suite à une ultime prise de parole d’une militante de BLM Nantes, qui a appelé chacun·e d’entre nous à se mobiliser contre ce projet de loi raciste, islamophobe et dangereux pour les libertés individuelles et collectives.

À l’heure où nous finalisons l’écriture de cet article, il nous paraît également indispensable d’aborder les différents amendements adoptés par le Sénat cette semaine, en première lecture du projet de loi. Ainsi, les sénat·eurs·rices ont voté pour l’interdiction de l’accompagnement des sorties scolaires aux mères de famille portant le foulard, l’interdiction du port du foulard pour les mineures musulmanes et l’interdiction du port du burkini pour les femmes musulmanes dans tous les espaces de baignade publics. Iels ont également un ajouté un amendement « Unef », rendant impossible pour les associations subventionnées l’organisation de réunions en non-mixité pour les personnes racisées, au risque de voir leurs subventions supprimées. De plus, les personnes souhaitant renouveler leur titre de séjour et ayant « rejeté les principes de la République » (définition floue s’il en est) pourraient également se voir refuser cette demande, pour des motifs que les sénat·eurs·rices elleux-mêmes n’ont pas su définir. En outre, iels ont ajouté un amendement interdisant l’utilisation de drapeaux étrangers lors des mariages, stigmatisant une fois de plus les populations racisées et/ou issues de l’immigration… Bien que la constitutionnalité de tels amendements puisse être un motif suffisant à leur suppression pure et simple, il nous semble indispensable de les dénoncer publiquement pour ce qu’ils sont : une preuve supplémentaire d’un état lui-même séparatiste car construit sur une idéologie de plus en plus ouvertement raciste, fasciste et islamophobe. Ce projet de loi, tout comme celui dit de « Sécurité globale » mais aussi les trois décrets promulgués en décembre dernier et validés par le Conseil d’État, ne sont que les réponses d’un système autoritaire aux abois, tentant de perdurer par la force et la coercition à un moment où sa légitimité est remise en cause constamment et partout.

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