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« No Bassarán » : contre la privatisation de l’eau dans les Deux-Sèvres

Samedi 6 novembre 2021, à Mauzé-sur-le-Mignon, au sud des Deux-Sèvres, plusieurs milliers de personnes ont participé à une vaste action de désobéissance civile contre les projets de mégabassines et l’agriculture industrielle climaticides.

Le rendez-vous était donné, ce 6 novembre, par la Confédération Paysanne, la Ligue pour la Protection des Oiseaux (LPO), Les Soulèvements de la Terre et le collectif citoyen Bassines Non Merci. La mobilisation a débuté à midi par un banquet paysan place du Champ de foire, à Mauzé-sur-le-Mignon, suivi d’une manifestation contre le projet de mégabassines. Entre 2000 et 3000 personnes ont répondu présent·es·x à l’appel en ce samedi ensoleillé : paysan·nes·x, militant·es·x, familles, gilets jaunes, jeunes ou moins jeunes, d’un peu partout en France (certain·es·x venu·e·s·x d’Isère ou de Corrèze). La précédente mobilisation contre ce projet, en septembre dernier, avait déjà réuni plusieurs centaines de manifestant·es·x.

Pour bien comprendre l’enjeu de cette mobilisation, une explication s’impose : une mégabassine est un dispositif de stockage d’eau, présenté par celleux qui la défendent comme la solution à l’irrigation de cultures durant les périodes estivales. En réalité, ces réserves d’eau artificielles semblent poser plus de problèmes qu’elles n’apportent de solutions. D’abord, la construction de ces mégabassines nécessite de plastifier (et donc d’artificialiser) toute une surface pour créer le bassin. Ensuite, le remplissage de la cuve se fait surtout par le pompage des cours d’eau et des nappes phréatiques avoisinantes, et très peu, voire pas du tout, grâce à l’eau de pluie (en dépit de ce que le ministre de l’agriculture Julien Denormandie maintient). Sans compter que l’eau récoltée dans ces mégabassines est retirée du cycle de l’eau et perd donc en qualité.

Cette artificialisation et l’assèchement des réserves d’eau naturelles participent à l’appauvrissement de la biodiversité. À ce sujet, la LPO rappelle que beaucoup de bassines prendront place sur, ou à proximité, de « zone de protection spéciale » (ZPS) et de mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC). Ainsi, le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement en France met en place des dispositifs de préservation d’espèces animales et végétales tout en permettant la construction de mégabassines sur, ou près, de ces zones supposément protégées. Préserver d’une main, détruire de l’autre. Par ailleurs, comme explicité dans notre podcast par Dominique Chevillon (LPO), la construction de ces bassines se fait au mépris des procédures juridiques : les travaux de certaines des bassines ont commencé en dépit des recours posés contre ces projets.

Dans le Poitou-Charentes, ce sont 93 mégabassines, dont une dizaine dans le marais Poitevin, qui sont prévues dans les trois prochaines années. L’eau récoltée dans ces dernières profitera majoritairement à la monoculture intensive de maïs, plante extrêmement gourmande en eau et supportant très peu la sécheresse, dont les récoltes sont utilisées en grande majorité pour l’exploitation animale ou l’exportation. Ce dispositif de stockage d’eau artificiel, perpétuant l’industrialisation et la spécialisation de l’agriculture, bénéficie surtout à une poignée d’agricult·eurs·rices·x, emprisonné·es·x dans un modèle productiviste défendu par la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitants Agricoles) et la politique agricole française. C’est donc contre l’ensemble de ce modèle d’agro-industrie que s’est tenue cette manifestation à Mauzé-sur-le-Mignon.

La veille de l’événement, le collectif Bassines Non Merci confirmait par un communiqué de presse le maintien du rassemblement place du Champ de foire, malgré les pressions exercées par la préfecture des Deux-Sèvres interdisant de manifester à pied ou avec des engins agricoles, ainsi que de se rendre aux bassines, et malgré la contre-manifestation de la FNSEA (autorisée par la préfecture, celle-là). Comme nous l’avons constaté en arrivant nous-même sur place, de nombreux contrôles étaient effectués à l’entrée de Mauzé-sur-le-Mignon par les forces de l’ordre, ce qui n’a pas empêché la réussite d’une mobilisation massive.

Il est 14h quand les différent·e·s·x intervenant·e·s·x débutent leur prise de parole, depuis un bateau de pirate tracté, avec la présence incessante d’un hélicoptère de la gendarmerie en fond sonore. Ce dernier ne quittera plus le cortège, volant encore en début de nuit, et sera même rejoint par un second hélicoptère au plus fort de « la prise de la bassine ». Pour protéger la privatisation de l’eau, l’État met le budget : au moins 12 000 € pour les deux hélicoptères mobilisés pendant la journée (il faut compter 1500 €/ l’heure de vol).

Vers 14h40, le cortège composé de tracteurs et de piéton·nes·x se met en mouvement. Juste à côté de la place du Champ de foire se trouve la mairie, qui est instantanément rebaptisée Mauzé-sur-Bassines pour l’occasion. Après cette première action, les milliers de manifestant·es·x prennent la direction d’une des bassines située au nord-ouest de la commune. Leur progression est rapidement interrompue par les forces de l’ordre bloquant le passage sous la voie ferrée, à grand renfort de grenades lacrymogènes.

C’était non sans compter sur la détermination et l’organisation des personnes présentes·x, qui ont très vite trouvé une solution de contournement. En effet, quelques mètres plus loin, un passage sous cette même voie ferrée était praticable : le lit du Mignon, asséché. Profitant du terrain ouvert, plusieurs chemins sont alors empruntés : certain·es·x avançaient pieds nus dans l’eau, d’autres·x progressaient par la route précédemment bloquée. Touxtes convergent, tracteurs compris, vers la bassine visée. Bien que les manifestant·es·x arrivent au compte-goutte, le faible dispositif policier ne laisse aucun doute sur la possibilité d’investir le lieu, comme prévu initialement. Pour autant, les gendarmes mobiles ont continué de lancer de nombreuses grenades lacrymogènes (ces dernières finissant en grande majorité dans l’eau stockée), même après l’envahissement massif de la bassine vers 16h50 et son sabotage avancé.

Cette obstination des forces de l’ordre n’a pas entaché la liesse générale sur le bord du bassin, où la victoire a été pleinement célébrée, dansée, taguée. Les non-initié·es·x ont pu être surpris·es·x de la taille de la bassine, bien que celle-ci fasse partie des plus petits modèles, avec une superficie tout de même équivalente à 5 terrains de football du Stade de France (soit 44 500 m2). Il est 17h20 environ quand la foule reprend le chemin de Mauzé-sur-le-Mignon, fière et déterminée à dire non merci aux bassines écocides. L’euphorie a pu continuer jusqu’au bout de la nuit pour celleux qui le désiraient, puisqu’une fête était prévue dans un village voisin, à Prin-Deyrançon.

Cette action témoigne de l’efficacité d’une mobilisation menée par des paysan·nes·x attenti·f·ves·x aux impacts de leur activité sur l’environnement et des citoyen·nes·x engagé·e·s·x, prêt·es·x à agir dans l’immédiat et de façon concrète. Une belle mise en lumière supplémentaire du décalage entre le peuple et les dirigeant·es·x (et autres grandes fortunes), qui se rendent pendant ce temps-là en jet-privé à la COP26 à Glasgow, pour parler d’hypothétiques mesures contre le dérèglement climatique à mettre en place « d’ici 2050 ».

Temps de travail :
– sur le terrain, trois personnes pendant 5h30 chacune
– montage, traitement, écriture, trois personnes pendant 6h chacune

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