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Sans-papiers, précaires et en première ligne pendant la crise sanitaire

Près de deux cent personnes étaient présentes ce vendredi 18 décembre 2020, pour la Journée internationales des migrant·e·s.

Le rendez-vous était donné place du Bouffay à 18h00, à l’appel du collectif nantais Ensemble pour Notre Régularisation (ENR) soutenu par l’association GASPROM, qui milite pour « l’égalité des droits entre les personnes étrangères et françaises, pour la liberté de circulation des personnes et pour l’ouverture des frontières ». L’appel a également été relayé par L’Autre Cantine Nantes, association qui prépare et distribue des repas aux personnes dans la rue, et donc particulièrement aux exilé·e·s.

Malheureusement, comme pour beaucoup d’autres catégories sociales discriminées, la crise sanitaire est venue aggraver la précarité des personnes sans-papiers. Précaires parmi les précaires, les migrant·e·s, demandeu·rs·ses d’asile, réfugié·e·s, font face tous les jours à différentes menaces. La première, liée à l’absence ou l’attente d’autorisation de séjour, est la traque (et la matraque) des forces de l’ordre, puis l’enfermement dans un Centre de Rétention Administrative (CRA) avant d’être renvoyé·e·s dans leur pays d’origine. L’existence de tels camps d’enfermement date des années soixante, mais c’est avec la loi dite Questiaux du 29 octobre 1981, sous le premier gouvernement et président «socialiste» de la cinquième république, que ces centres sont légalisés. Une loi portant le nom de la ministre de la solidarité nationale de l’époque (sic), Nicole Questiaux, nantaise de naissance. La deuxième menace est liée à l’absence d’autorisation de travail. L’article L5521-5 du code du Travail est clair à ce sujet : « un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l’autorisation de travail ». Pourtant, loin des clichés abondamment entretenus par la bourgeoisie, les exilé·e·s souhaitent majoritairement « vivre de leur travail, et non pas de l’aide (qui place chacun dans une situation de dépendance humiliante) », comme le rappelait en mai dernier la micro-institution culturelle expérimentale l’École des Actes. Cette difficulté d’accès à l’emploi, dans une période de chômage de masse structurel, expose donc les travailleu·rs·ses sans-papier à l’exploitation et fait d’elleux une main d’œuvre corvéable à merci.

Ces deux menaces, telles l’épée de Damoclès, sont sources d’autres insécurités. Tout d’abord, la difficulté d’accès à la protection sociale. Ainsi, comme pour l’insécurité alimentaire qui fait se mobiliser de nombreuses associations pour remédier au problème d’un État démissionnaire, de nombreux acteurs sur le terrain s’engagent en faveur de la santé des exilé·e·s. Beaucoup d’entre elleux arrivent au terme d’un voyage dangereux et difficile, tant psychologiquement que physiquement. Ensuite, l’accès à un logement. Sans travail ou ressources, avoir un toit est mission impossible. Pourtant éligible à l’accueil dans des Centres d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) comme prévu à l’article L345-2 du Code de l’Action Sociale et des Famille, saturés et insuffisants, la seule solution pour les exilé·e·s, autre que la rue, reste la solidarité ou l’ouverture de squats. Ces derniers sont souvent surpeuplés et surtout ne sont pas des solutions pérennes, car régulièrement évacués par les autorités. D’ailleurs, à l’heure où nous écrivons ses lignes, le squat de Talensac est évacué par les forces de l’ordre dans une opération menée par la mairie en concertation avec la préfecture. Une fois de plus, comme lors de l’évacuation du square Daviais en 2018, la maire de Nantes Johanna Rolland s’inscrit donc dans l’héritage de Nicole Questiaux. Cette évacuation, faite sans concertation avec les associations, en plein hiver et durant les fêtes, prévoit un relogement dans l’ancienne auberge de jeunesse de la Manufacture, qui jouissait d’une assez mauvaise réputation auprès des voyageu·rs·ses pour sa vétusté. D’une capacité d’environ 130 lits, elle permettrait à peine d’accueillir les 120 personnes vivant au squat de Talensac, alors que 200 personnes vivent actuellement dans un autre squat, sans électricité ni chauffage.

Une heure avant la manifestation nantaise, un rassemblement était prévu à l’esplanade des Cinq Communes, face à la préfecture, pour rendre hommage à Isam, jeune exilé âgé de 24 ans disparu récemment. Plusieurs dizaines de manifestant·e·s sont ensuite parti·e·s en cortège depuis la place du Bouffay, pour aller vers la préfecture via le cours des Cinquante Otages. Arrivé·e·s au rond-point du pont Morand, quelques prises de paroles, pour rappeler, puisqu’il semble malheureusement nécessaire de le faire, que les sans-papiers sont des humain·e·s comme les autres, et qu’à ce titre iels doivent bénéficier des mêmes droits que toustes les autres personnes, au pays dit «des droits de l’Homme». Cette appellation si chère à la nation française, devrait d’ailleurs être définitivement abolie, au profit des «droits humains». Radicalement, et pas d’une manière frileuse comme le demande le Haut Conseil à l’Égalité (HCE), en laissant intact « les titres de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ou de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, afin de préserver les traces de l’Histoire ». Le HCE appelle néanmoins à utiliser l’expression « droits humains » pour tout autre usage, « afin d’en finir avec la logique discriminatoire encore véhiculée par la langue française ». Une réforme qui devrait être compréhensible par les élites bourgeoises, lettrées et instruites, qui continuent de s’attacher à leurs privilèges et maintiennent ainsi une majorité de personnes dans des situations indignes et inhumaines, en niant les réalités qu’ils et elles vivent. Prétendre ne pas voir les couleurs, les genres, les orientations sexuelles, c’est participer activement à l’invisibilisation des discriminations que vivent une majorité de personnes concernées. Il est temps de reconnaître cet état de faits et de se regrouper toustes ensemble, pour que les droits humains de tous et toutes soient enfin garantis.

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