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Marche et hommage pour Sasha et aux victimes de la transphobie

Une marche suivie d’une veillée en hommage aux trop nombreu·ses·x victimes de la transphobie s’est tenue ce samedi 20 novembre 2021 à Nantes, lors de la Journée du souvenir trans. L’occasion de dénoncer également l’omniprésence des violences et crimes transphobes, trop souvent invisibilisé·e·s.

Organisée par l’association nantaise de personnes trans et intersexes TRANS INTER action, la marche de ce samedi a réuni plusieurs dizaines de personnes venu·e·s·x dès 14h au miroir d’eau, pour la Journée du souvenir trans ou Trans Day of Remembrance (TDoR). Cette journée internationale a vu le jour pour la première fois le 20 novembre 1999, suite au meurtre non résolu de Rita Hester, une femme trans afro-américaine assassinée le 28 novembre 1998 à Boston. Depuis cette date, des hommages sont rendus aux victimes de violences et crimes transphobes à travers le monde. Cette année, la commémoration à Nantes a aussi rendu hommage spécifiquement à Sasha, jeune femme trans originaire de Nantes, poussée au suicide en septembre dernier à Paris, du fait de la transphobie systémique dont elle était victime. À l’initiative de Dex, artiste et militant queer basé à Nantes, et soutenue par la famille de Sasha, une fresque collaborative a été réalisée à sa mémoire et à celles des autres·x personnes trans victimes de la transphobie cette année.

Après les prises de parole de l’association TRANS INTER action et une distribution de pancartes aux participant·e·s·x, le cortège s’est dirigé vers la préfecture, via la rue Henri IV et la rue Sully. Après une altercation avec les deux passagers d’un véhicule refusant de laisser passer le cortège (on notera une fois de plus l’absence des forces de l’ordre pour gérer le trafic lorsqu’une manifestation ne leur semble pas digne d’intérêt), la marche s’est dirigée vers la place du Pont Morand. C’est à cet endroit que le cortège a croisé celui, confus, des anti-pass mélangé·e·s·x à des gilets jaunes, aux alentours de 15h15. Il n’aura pas fallu longtemps pour que certain·e·s·x d’entre elleux viennent défendre une convergence des cortèges auprès des personnes mobilisé·e·s·x pour le TDoR. Ces derni·er·ère·s·x ont très justement rappelé, comme on peut l’entendre dans le podcast ci-dessus, que les messages de la Journée du souvenir trans seraient noyés au sein du cortège anti-pass/gilet jaune, comme c’est déjà le cas partout et tout le temps. Il n’y avait donc pas lieu de les rejoindre et d’être invisibilisé·e·s·x une fois de plus à leur avantage. Rappelons que l’injonction à « faire nombre » n’est jamais pertinente si elle engage un nivellement par le bas des revendications ou si elle exclut une partie des personnes déjà opprimé·e·s·x.

Le cortège s’est ensuite arrêté place du Pont Morand, où l’association TRANS INTER action a organisé une action symbolique visant à recouvrir la statue de Charles de Gaulle d’un drap imbibé de faux sang, afin de matérialiser les conséquences dévastatrices de la transphobie sur les personnes concerné·e·s·x. Les membres de l’association ont ensuite rappelé le nombre de décès et meurtres transphobes dans le monde : 462 personnes entre octobre 2020 et septembre 2021, assassiné·e·s·x ou poussé·e·s·x au suicide.
TRANS INTER action a également souligné le caractère systémique des violences et crimes transphobes et dénoncé la responsabilité des institutions dans les décès de personnes trans. Notamment l’école, quand elle ignore les pronoms et prénoms d’usage ou impose des codes vestimentaires hérités d’une norme hétérocisgenrée, humiliant ainsi ses élèves. Mais aussi l’appareil judiciaire, en incarcérant des femmes transgenres dans des quartiers pour hommes et inversement, en interrompant les traitements hormonaux et suivis médicaux de certain·e·s·x ou en procédant à des palpations et fouilles ne respectant pas les préférences exprimées par les détenu·e·s·x. C’est en réalité partout que la transphobie violente les personnes concerné·e·s·x : mégenrage, insultes, agressions, harcèlement de rue, rejet familial, psychiatrisation des parcours de transition, discrimination à l’embauche ou harcèlement sur le lieu de travail, discrimination lors de l’accès au logement et aux soins adaptés, violences policières et administratives…
Pour l’année 2021, 96% des meurtres rapportés de personnes trans concernaient des femmes trans ou des personnes transféminine·s·x. 58% des personnes trans assassiné·e·s·x cette année étaient travailleur·euse·s·x du sexe. Parmi les personnes trans assassiné·e·s·x aux États-Unis, 89% étaient des personnes racisé·e·s·x. En Europe, 43% des personnes trans assassiné·e·s·x étaient immigré·e·s·x. Cela représente 375 personnes à l’échelle mondiale, un chiffre en augmentation de 7% par rapport à l’année dernière mais que l’on peut légitimement estimer plus élevé, compte-tenu du manque de données et d’intérêt pour ces meurtres et ces disparitions qui ciblent les plus précaires·x parmi les personnes trans. En effet, ce sont majoritairement les personnes à l’intersection de plusieurs discriminations que sont le sexisme, la misogynie et le racisme, mais aussi la précarité et la pauvreté, qui sont victimes·x de crimes transphobes.

La marche s’est terminée boulevard Salvador Allende, devant la fresque réalisée par Dex et une vingtaine de personnes, en hommage à Sasha. Pour l’artiste basé à Nantes (dont vous pouvez entendre l’interview dans notre podcast), réaliser cette fresque était un moyen d’exprimer sa colère et de visibiliser les conséquences dramatiques de la transphobie. En partageant sur les réseaux sociaux sa volonté d’agir après avoir appris la mort de Sasha, Dex est entré en contact avec la famille de cette dernière. Il a ainsi pu travailler sur l’élaboration de cette œuvre collaborative en concertation avec les proches·x de Sasha, qui lui ont également apporté le soutien financier indispensable à la réalisation de cette fresque. Si l’inauguration et l’hommage ont eu lieu ce samedi 20 novembre, la réalisation de la fresque elle-même avait été entamée dès le début de la semaine et a nécessité un travail conséquent.
Arrivée vers 16h45, la cinquantaine de personnes présent·e·s·x ont déposé des fleurs et allumé des bougies devant la fresque, partageant un moment de recueillement très émouvant. Après quelques prises de parole, chacun·e·x a été invité·e·x à écrire un message sur le mur de la fresque, en souvenir à Sasha ainsi qu’aux autres victimes·x de la transphobie, mais aussi pour exprimer colère et tristesse. Le rassemblement a pris fin en début de soirée, après la tombée de la nuit.
Bien que l’on puisse espérer que la situation des personnes trans s’améliore avec la visibilisation de leurs histoires singulières mais aussi des discriminations communes qu’iels subissent, il nous semble essentiel de rappeler que cela ne se fera pas sans l’accès aux droits fondamentaux ainsi que l’amélioration matérielle des conditions de vie des personnes trans. Soutenir les personnes trans collectivement et ne pas les invisibiliser dans nos luttes serait une première étape indispensable, qu’il ne tient qu’à nous de mettre en œuvre.

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