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Grève massive contre la destruction du service public d’éducation

Au moins 3000 personneXs ont manifesté à Nantes ce jeudi 13 janvier 2022, pour dénoncer un manque de moyens structurel, aggravé par la crise sanitaire. Très tôt dans la matinée, des lycéenneXs tentaient également de bloquer l’accès à leurs établissements.

Initialement lancé au niveau local dans le 44, l’appel à la grève a été relayé au niveau national par l’ensemble des syndicats enseignants. En Loire-Atlantique, cette grève en a mobilisé un grand nombre : CGT Educ’Action 44, SE-Unsa 44, SNALC Ac-Nantes, Snudi FO 44, SNUipp-FSU 44, SUD Education 44, et même la SGEN-CFDT 44 ! S’y sont ajoutés les syndicats de parenteXs d’élèveXs (FCPE 44) et de lycéenneXs (F!DL, La Voix Lycéenne et MNL).
L’objectif de cette journée était d’obtenir les moyens financiers et humains nécessaires à la tenue des cours dans un contexte de crise sanitaire, contexte qui ne fait qu’accentuer les manquement déjà existants et dénoncés depuis plusieurs années. Un mouvement très largement suivi selon les syndicats : près de 75% d’enseignanteXs dans le primaire et 62% dans le secondaire ont fait grève ce jeudi 13 janvier. Pour le ministère, iels étaient respectivement de 38 % et de 23%… Une fois de plus, ces chiffres gouvernementaux questionnent quant au mode de calcul employé par les rectorats, aussi bien que par les préfectures, pour compter les grévisteXs.

Avant le levée du jour, les élèveXs de plusieurs lycées de la région nantaise, dont Orbigny et Jean Perrin, se sont également mobiliséeXs pour tenter de mettre en place des blocus, afin de soutenir le mouvement de grève des enseignanteXs. Ces deux blocus ont cependant échoué du fait du harcèlement et des intimidations des forces de l’ordre, notamment par des contrôles d’identités, des menaces d’amendes pour non port de masque ou encore la menace de prévenir les parenteXs des élèveXs contrôléeXs.
Seuls les blocus du lycée Livet et de celui des Bourdonnières ont tenu, malgré une intervention des forces de l’ordre particulièrement violente et scandaleuse aux Bourdonnières. La détermination de la jeunesse a tenu bon face aux assauts répétés de la police pendant 90 minutes : jets de grenades lacrymogènes, dont l’une d’entre elles a blessé une élève au niveau du crâne, nécessitant un transfert aux urgences et deux points de suture; interpellations violentes et véhicules policiers fonçant sur les élèveXs, renversant au passage un jeune journaliste indépendant venu couvrir le blocus. Cet assaut a été nié à plusieurs reprises par la préfecture, notamment lorsqu’elle recevait dans la journée la délégation intersyndicale, alors que plusieurs vidéos tendent à prouver les faits.
À Mandela, faute d’un nombre d’élèveXs suffisant pour mettre en place un blocus, une délégation a été reçue par le chef d’établissement. Au lycée Aristide Briand de Saint-Nazaire, les lycéenneXs ont également tenté de bloquer l’accès à leur établissement, avant de rejoindre le cortège de la manifestation nazairienne.

C’est l’exaspération due à un énième protocole sanitaire, annoncé par Jean-Michel Blanquer à la veille de la rentrée (depuis Ibiza, comme le révèle Mediapart ce lundi 17 janvier 2022) et sans faire parvenir aux établissements les moyens nécessaires à son application, qui a généré un appel national à la grève ce 13 janvier.
De nombreuses revendications, liées aux manquements structurels au sein de l’Éducation Nationale, ont également nourri la mobilisation de ce jour : le recrutement immédiat de touteXs les candidateXs aux concours inscriteXs sur les listes complémentaires (plutôt que le recours à des contractuelleXs précaireXs), notamment pour organiser les remplacements; la stagiairisation ou la titularisation des contractuelleXs qui le souhaitent ; le recrutement de personnel médical dans les établissements scolaires à hauteur des besoins et la réintégration des personneXs suspendueXs ; l’augmentation de 21% de la valeur du point d’indice et une augmentation indiciaire immédiate de 183€ net mensuels ; l’amélioration du statut d’AESH (AccompagnanteXs des ÉlèveXs en Situation de Handicap) et l’augmentation de leurs salaires ; l’abandon des Pôles Inclusif d’Accompagnement Localisés (PIAL) et bien évidemment l’accès au matériel de protection pour touteXs (masques FFP2, tests et capteurs de CO2), dont certains établissements manquent depuis octobre dernier.

Parmi toutes ces revendications, la mise en place effective de l’école inclusive, une « ambition forte du président de la République », ressortait particulièrement en Loire-Atlantique. Décrite par le gouvernement actuel comme un moyen « d’assurer une scolarisation de qualité à tous les élèves [en situation de handicap] de la maternelle au lycée et la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers », cette circulaire de 2019 est dénoncée par les personnelleXs de l’enseignement. Iels s’opposent notamment à la formation des PIAL, ces regroupements d’écoles et d’établissements d’enseignement accueillant des élèveXs en situation de handicap, dont l’objectif principal est de mutualiser les accompagnanteXs de ces élèveXs : les AESH. Peu forméeXs, mal rémunéréeXs et employéeXs de façon contractuelle, ces personnelleXs se retrouvent en plus dans l’obligation d’intervenir auprès d’un nombre croissant d’élèveXs (jusqu’à 10 par semaine!) sur une zone géographique étendue. Cette injonction supplémentaire a pour conséquence directe une diminution du temps d’accompagnement des élèveXs en situation de handicap scolariséeXs en milieu ordinaire, rendant d’autant plus difficile leur inclusion et leur apprentissage, dans des classes toujours plus surchargées.
Il est donc évident que le gouvernement ne tient en aucun cas à fournir un accompagnement digne de ce nom aux élèveXs, en situation de handicap ou non, mais bien à faire des économies, notamment en diminuant le nombre d’enseignanteXs remplaçanteXs. Notons d’ailleurs que, depuis le début de ce quinquennat, le nombre d’enseignanteXs n’a augmenté que de 0,2% et qu’on enregistre quatre fois plus de démissions aujourd’hui qu’il y a dix ans, tandis que leur rémunération a baissé de 15 à 20% en 20 ans.

À Nantes, le rendez-vous était fixé à 9h30 ce jeudi pour une Assemblée Générale cours Saint-André, pendant laquelle plusieurs représentanteXs de différentes professions et différents établissements ont pu faire part de leurs inquiétudes et de leurs revendications. Iels ont également exprimé leur besoin de rester mobiliséeXs ensemble, en trouvant d’autres moyens d’actions que la grève, difficile à tenir pour certaineXs sur le long terme. Plusieurs d’entre elleux ont ainsi demandé à ce qu’un décompte des jours non remplacés dans l’ensemble des établissements scolaires du département soit réalisé et rendu public, afin d’avoir une vision globale des manquements à l’échelle locale. Un enseignant de l’école élémentaire Ange Guépin à Malakoff (qui compte 5 classes) a indiqué que dans son établissement, ce décompte s’élevait déjà à 29 jours pour l’année scolaire en cours et a proposé de réaliser un jour de grève ou d’action tous les 1000 jours non remplacés. D’autreXs ont insisté sur l’importance de communiquer avec les parenteXs d’élèveXs, afin de les amener à soutenir le mouvement enseignant, et ont rappelé la manifestation du samedi 15 janvier, impulsée par des parenteXs ne pouvant être présenteXs ce jeudi.


C’est donc après une bonne heure et demi de prises de parole que le cortège s’est dirigé vers le cours des Cinquante Otages, après l’arrivée des lycéenneXs mobiliséeXs sur les blocus plus tôt dans la matinée. Passant devant la cathédrale puis la mairie, les manifestanteXs se sont dirigéeXs vers la préfecture au rythme de la batucada venue égayer et soutenir la manifestation. Arrivé devant la préfecture, le cortège a marqué une pause pour quelques prises de parole, dont celle de lycéenneXs membreXs du Collectif Révolté Interlycéen, qui ont pu témoigner des violences commises par les forces de l’ordre aux Bourdonnières. La manifestation s’est ensuite dirigée vers la Direction des Services Départementaux de l’Éducation Nationale, rue du général Margueritte, en empruntant le quai Henri Barbusse. Le cortège s’est finalement arrêté devant la DSDEN, où la délégation intersyndicale reçue à la préfecture a transmis aux manifestanteXs un résumé des échanges avec le sous-préfet, un représentant du cabinet de la Directrice Académique des Services de l’Éducation Nationale (cette dernière ayant refusé de recevoir la délégation intersyndicale en amont) et même le préfet, arrivé pendant l’audience. Ce dernier s’est plaint de l’absence de déclaration de la manifestation et des blocus lycéens, niant d’ailleurs la violence des forces de l’ordre à l’encontre des lycéenneXs aux Bourdonnières, assurant que l’intervention de ses agenteXs était, comme toujours, tout à fait proportionnée. Le préfet a également tenté de faire croire que la gestion de la crise sanitaire dans les établissements scolaires était à la hauteur des besoins, rappelant que l’objectif du ministère était d’abord et avant tout de garder ces derniers ouverts. Aucun engagement n’a donc été pris pour répondre aux manquements structurels rapportés par les grévisteXs, ni au manque de moyens matériels, ces derniers étant pourtant indispensables pour accueillir les élèveXs dans un contexte de crise sanitaire. La manifestation a pris fin aux alentours de 14h, les grévisteXs appelant à rester mobiliséeXs et à se joindre à la manifestation du samedi 15 janvier et à la journée de grève interprofessionnelle du 27 janvier.

Une ultime prise de parole a clôturé le rassemblement (malheureusement entendue par peu de personneXs, le cortège s’étant déjà dispersé) : une jeuneX photographeX indépendanteX, présenteX aux Bourdonnières, a tenu à témoigner de la violence de la répression subie par les lycéenneXs, en précisant notamment qu’une élève avait été blessée au crâne par une grenade lacrymogène et avait eu besoin de deux points de suture. Ael a également insisté sur le fait que ces blocus étaient nés de la volonté des lycéenneXs de soutenir le mouvement enseignant et de réclamer de meilleures conditions d’apprentissage, l’inquiétude quant à leur avenir étant particulièrement forte en temps de crise sanitaire et écologique. Une étude publiée en septembre 2020 affirme notamment que 75% des 16-25 ans interrogéeXs ont peur de l’avenir. Iels souffrent énormément d’éco-anxiété (l’angoisse chronique liée spécifiquement aux dérèglements climatiques) et 56% estiment que « l’humanité est condamnée ». Pour autant, à l’instar de Vanessa Nakate ou de Greta Thunberg certaineXs s’engagent, notamment au sein de collectifs comme Youth For Climate, pour que des changements radicaux en termes de protection de l’environnement soient pris par les États. Cependant, force est de constater qu’à Nantes, la répression qui frappe la jeunesse engagée prend des proportions alarmantes, qu’il convient de dénoncer mais aussi de prévenir. On peut légitimement penser que les forces de l’ordre n’auraient pas agi de la même manière si parenteXs et grévisteXs s’étaient mobiliséeXs pour soutenir les blocus, avant de partir en manifestation.

Les mesures et promesses annoncées par Jean-Michel Blanquer suite à ce premier jeudi de grève des personnelleXs de l’Éducation nationale ne suffisent pas. En effet, les manquements sont tels qu’il faut des engagements et des réponses fortes, qui doivent aller bien au-delà des effets d’annonces du ministre. C’est pourquoi, dans un communiqué du 16 janvier 2022, les syndicats CGT Educ’Action, FO, FSU, Sud Education, FCPE, Voix Lycéenne, MNL, FIDL appellent à poursuivre la mobilisation en listant les besoins dans les écoles et en s’engageant dans une nouvelle journée de grève jeudi 20 janvier, tout en continuant de préparer la grève interprofessionnelle du 27 janvier. Des actions futures que l’on espère au moins aussi massivement suivie que celle du 13 janvier, pour que la lutte se poursuive jusqu’à l’obtention de réelles améliorations pour touteXs.

Temps de travail :

  • Prises de sons par Luth, 4h
  • Prises d’images par Suvann, 7h
  • Rédaction de l’article par Luth et Suvann, 9h
  • Montage du podcast par Luth, 3h
  • Sélection par Luth et Suvann, 1h ; traitement des photos par Suvann, 1h
  • Relecture, réécoute, correction par Rustine, 2h

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