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« No bassarán » : paroles après Sainte-Soline

Samedi 25 mars 2023, à Sainte-Soline plusieurs dizaines de milliers de personneXs étaient rassembléeXs pour la 5ème mobilisation contre les projets de méga-bassines. Beaucoup de personneXs ont été blesséeXs physiquement et psychologiquement : témoignages.

Cette mobilisation d’action directe, contre la construction de méga-bassines dans les Deux-Sèvres, était à l’initiative des collectifs Soulèvements de la Terre, Bassines Non Merci, de la Confédération Paysanne et aux côtés de plus de 100 organisations. Lors de ce rassemblement international, un énorme dispositif policier, totalement disproportionné, a été déployé : 3200 gendarmes et policiers. Les forces de l’ordre ont usées de leurs armes (LBD, 5000 grenades lacrymogènes, grenades explosive GM2L, grenades de désencerclement GENL, dispositifs déflagrants ASSD) et de la violence comme rarement dans les luttes écologistes. Nous sommes allés rencontrer ces manifestanteXs, cet article leur donne la parole.

Notion de TW : Les récits que vous lirez ou écouterez peuvent être violents, par la notification de blessures, la mention de sang ou de situations choquantes, de bruits. Certains passages peuvent raviver des souvenirs/traumatismes.

Nous avions déjà été couvrir deux précédentes manifestations contre les méga-bassines, les reportages sont à retrouver ici et ici.

PHILAE 

Retour sur Sainte Soline.
Je n’arrive pas à poser beaucoup de mots donc ce sera succinct.
J’ai l’impression que c’est allé vite. J’ai quelques flashs principaux de situations différentes. Le cortège au départ, si grand, notre déferlement dans des champs. Le débit de la confusion face aux quads et le canon à eau qui paraissait petit de loin. Les quatre camions qui brûlent, me dire que peut-être ça passe puis l’avalanche des explosions étouffées par les bouchons d’oreilles, fixer le ciel pour tenter de comprendre où les projectiles tomberaient, ne pas courir, s’attraper entre binôme pour tenter de se rassurer.
Puis la pause dramatique, le mégaphone qui résonne « dans dix minutes on repart » alors qu’on commence à comprendre que non en fait. Je me rappelle de la panique à l’idée que des potes pourraient être blesséXes, de reconnaître un visage déformé sous une couverture de survie.
Qu’on arrivait pas à dégager la route pour faire passer les ambulances du SAMU qu’on ne savait pas encore retenues par les flics.

Après une semaine de réflexion, de colère succédée par la tristesse malgré le soutien des proches, de sentiment de déconnexion quand le travail reprend, de discussions multiples, il est encore trop tôt pour le bilan, ou trop tard mon cerveau est lassé et les souvenirs partent.
J’ai l’impression qu’on a manqué de moyen de se concerter, peut-être qu’on aurait dû se déployer autour de la bassine quand on a vu qu’on ne passerait pas « en force » à un seul point.
Qu’il y a de la stratégie à remettre en question, de la cohérence dans le mouvement à interroger.
Je rejoins beaucoup l’article publié sur Lundi Matin « Ste Soline : s’improviser stratège ». J’ai besoin que les Soulèvements de la Terre reviennent peut-être publiquement sur ces remarques multiples émises à propos de leur stratégie pour, je pense, retourner à un rassemblement des bassines.
Voilà, ACAB évidemment.

LOUVE

« Dans l’enfer, la vie.
Enfant, la pluie fait pousser le jardin. Sans pluie, sans eau, il se dessèche et meurt.
L’eau, c’est nos vies.

Ce week-end-là, ils ont tenté d’assécher le mouvement écologiste et paysan. Pourtant, la vie était présente constamment.
La pluie, si rare pendant des semaines, nous a d’abord accueillie le vendredi soir comme pour nous remercier, quand, tard dans la nuit, il a fallu monter nos tentes. Des milliers de vies étaient là, endormies ou fêtardes pour la protéger. La vie, c’était un cortège familiale joyeux. Joyeux, parce que se battre pour la vie ça rend heureux ! Des jeunes et des moins jeunes, colorés ou masqués, nous chantions. Pour soulever cette lourde Outarde, la solidarité portait.
La fanfare jouait.
La foule chantait.
Toute cette vie nous a porté pendant des kilomètres.
Ils nous ont tiré dessus directement.
Plusieurs centaines de mètres nous séparaient encore de cette bassine mortifère. Ils nous ont tiré dessus directement !
La vie nous la chérissons et nous la protégions du mieux possible : casques de vélo, lunettes de piscine et masques de chantier.
Ils nous ont tiré dessus directement.


Main dans la main, la chaîne humaine a progressé sous les gaz.
Un pas. On ne voit rien. L’autre. Nous allons entourer le monstre. Boom. Attention. Regarder en l’air. Motte de terre. Boom. Attention. Regarder en l’air. Motte de terre. Boom. Les petites mains pleines d’intelligence collective s’animent. Sans fin. Boom.
Un pas. Les mains en l’air. Boom. Un pas. Les mains en l’air. Boom.
Un pas. Les mains en l’air. Sans fin.
Un pas. Le canon du LBD pointé sur nous.
Un pas. Prier pour qu’ils ne tirent pas.
Un pas. Les mains en l’air.
Un pas. Prier qu’ils ne pressent pas leur doigt.
Un pas. Sans fin.
Bruits sourds. Lassés des lacrymos.
Détonations. Médics !
Explosions. Médics !
Explosions. Médics !
Explosions. Médics ! La fin.
La fin de leur patience. La fin des bras en l’air. Ils vont tuer. Courir dans les champs pour sauver sa vie. Apercevoir un ami, mutilé, porté. Trouver un brancard, trouver l’énergie, le porter loin : loin pour sauver nos vies. Médic ! pour notre ami. Mais, il y a plus grave.

Certains se battent pour leur vie. Les autres font tout pour qu’elle ne s’échappe pas. La place pour l’ambulance qui arrive. Attention à la place pour l’ambulance qui arrive. Faites de la place pour l’ambulance qui arrive. Toujours pas d’ambulance. Un élu, rouge, crie au téléphone, raccroche, prend son écharpe, en fait une boule qu’il range dans sa poche. Un visage familier, rassurant et protecteur m’a sortie de ma bulle d’hyper concentration.

Sur le chemin du retour, nos vies étaient entamées comme les chairs de nos amiXes. D’abord, tristesse et incompréhension. Puis colère, rage, vengeance. Ils n’entameront pas notre détermination. Pour l’eau, pour la vie. Si nous portions la vie, que représentent-ils alors ?
En défendant la mort de la biodiversité, du paysage, des paysans et des générations futures. Les défendant à l’aide de notre argent, l’argent de nos écoles, de nos hôpitaux, l’argent de vies futures. Les défendant avec des armes de guerre criant la mort. Un mois après, une vie se trouve encore à ses portes.

ASNO

Je suis arrivée le vendredi soir, plus tard que prévu parce qu’il a fallu slalomer entre les barrages et contrôles de policiers. On est un groupe de quatre amiXes dans la voiture, et on se retrouve à couper à travers des petites routes de terre en suivant un camion de la confédération paysanne.
On se fait arrêter par des policiers, mais ils n’avaient pas les réquisitions et n’ont pas pu nous fouiller. Les téléphones éteints pour éviter le bornage dans la zone, on arrive assez facilement à retrouver presque la totalité de notre groupe d’amiXes venu par d’autres moyens. La soirée se passe bien, dans une bonne ambiance entre les briefs pour le lendemain, la pause repas et les retrouvailles.
Après une nuit pluvieuse, on se retrouve le matin, les pieds dans la boue, pour assister à un nouveau brief qui nous re-explique la situation, les convois de voitures qui continuent d’affluer de différentes villes et les différents cortèges : la loutre jaune, l’anguille turquoise, la outarde rose.
Ce dernier cortège est présenté comme étant à destination des personnes à mobilité plus réduite.
Moi je le comprends comme étant un cortège plus pacifique et moins sujet à être frontal donc moins de risque de se retrouver face à une répression policière violente.
J’apprendrais plus tard dans la semaine qui a suivi que tout le monde n’avait pas vu les choses de cette manière, et certains se sont retrouvés dans des cortèges « plus vénères » sans savoir que ce serait le cas.
Ce matin on prévoit donc d’arriver par différents points, avec l’intention de rentrer dans la bassine au son de « bye bye bassines » et de pouvoir marquer notre opposition à ces projets.
Le cortège rose part le premier pour s’arrêter à Vanzay et rallier les voitures du matin.
Une énorme structure de bois, la Outarde, portée par 20-30 personnes est en tête, et des gens arméeXs de bouées gonflables restent à proximité pour pouvoir passer des barrages de policiers s’il venait à en avoir. On aperçoit au loin plusieurs policiers à cheval, l’hélico qui nous survole en continu, mais strictement aucun barrage. Alors on se relaie à porter la Outarde, on chante « La guerre de l’eau est déclarée, on va tout faire pour la gagner ! » et « No Bassaran ».

Le pire dans la lutte contre la crise environnemental, c’est le sentiment d’impuissance et de solitude.

C’est tout l’inverse aujourd’hui. On finit par voir la bassine. De loin on voit aussi un autre cortège, alors on fait du bruit pour se saluer et se donner de la force.
Il y a un énorme dispositif policier.
Je mets mon équipement: lunette de piscine, bouchons d’oreilles et masque FFP3.
Équipement que je n’aurais pas acheté sans la dernière manifestation contre le 49.3 de la réforme des retraites : marre de me prendre des lacrymos et de subir pour rien. Une fois à peu près parallèle à la ligne de gendarme et sur presque la totalité de la longueur de la bassine, on se prend par la main, et on avance. Je parle un peu à mon voisin, je garde un œil sur mon binôme et lui sur moi, et on avance tousXtes ensemble, sans animosité.

Plusieurs camions [de police] bougent vers ma droite, où on ne voit pas ce qu’il se passe, mais une épaisse fumée noire s’élève dans le ciel et on entend des bruits assourdissants et affaiblis par la distance. Pas le temps d’imaginer que nos amiXes puissent être en danger, on se prend une première salve de gaz lacrymogène. On adopte assez vite une technique : quand les lacrymo arrivent derrière nous, on les étouffe avec des mottes de terres. Quand elles arrivent entre nous et les gendarmes, on les laisse parce que le vent est avec nous et renvoie la fumée directement à leur envoyeur. Une fois en particulier, il y avait tellement de gaz entre nous et la ligne de gendarme qu’on ne se voyait plus du tout. On aurait dit une scène de film.

La bassine symbole de tout ce qu’il ne faut plus faire, privatiser un bien commun pour continuer de l’élevage industriel sans se poser de questions, le déni et la fuite en avant d’un système qui arrive à bout de parcours (physiquement, pas seulement idéologiquement). Bassines qui augmentent la sécheresse du sol en été, contournent les arrêtés de gestion de l’eau en cas de sécheresse, imperméabilisent des hectares de terre.

C’est en se tenant comme ça par la main que je ressens un pur sentiment de légitimité. Que je suis au bon endroit, à me battre en nombre contre un système mortifère. Je vois quand même que mon cortège est un peu frileux, beaucoup de gens n’osent pas trop avancer alors que j’aurais souhaité qu’on y aille tousXtes ensemble. A ce moment, j’avais oublié que tout le monde (la majorité?), n’avait pas l’équipement adéquat ou la condition physique pour. J’imaginais qu’il n’y avait que des gaz contre nous, pas de LBD donc je n’ai pas peur. Si j’avais vu qu’on était en joue des flashballs comme ça m’a été rapporté plus tard par mon binôme et d’autres gens, j’aurais peut-être hésité un peu plus à avancer comme ça… Plusieurs fois on arrive très proche de la ligne de gendarmes, quelques mètres, personne ne tente de percée. Quand je suis suffisamment prêt, je distingue une voix de femme qui fait des sommations « nous allons faire usage de la force » (parce que vous faites quoi depuis le début?). Parfois, on lève les mains en l’air, paumes ouvertes, pour montrer qu’on est pas une menace, pas armés, pas belliqueuxses. On a éventuellement une motte de terre avec nous pour se préparer à étouffer la prochaine salve.
Souvent, je regarde en arrière pour rester proche de mon binôme.
Un moment la Outarde en bois arrive.
Moi aussi, je vais la porter, cette Outarde.
On se prend à ce moment-là une salve de gaz lacrymogène. Je me revois marcher sur plusieurs palets qui déversent leur gaz, impossible de lâcher la structure sans risquer de blesser les autres porteurs et porteuses.
Malgré mon masque, je sens le gaz.
En levant la tête, je ne vois pas à un mètre tellement c’est dense. Alors tant pis, je me concentre sur ma respiration, ça finira bien par s’arrêter. On décide collectivement de s’éloigner des gaz avec la Outarde. Je laisse ma place à d’autres, retrouve mon binôme, et on se rassemble à nouveau pour écouter des instructions au mégaphone. On nous propose de retourner dans la Outarde, de tenter une percée et que tout le cortège se mette à la suite pour passer le barrage de policier.

À ce moment-là, j’ai eu l’impression que peu de gens étaient vraiment chaudXes. Je me suis demandé si c’était une vraie attente ou si c’était juste symbolique. Parce que se retrouver à 20 à porter une structure en bois de plusieurs centaines de kilos pour passer un barrage me semblait très optimiste.

C’est à ce moment là que j’ai entendu les premières grenades assourdissantes. Je ne suis pas très proche des gendarmes, je vois des explosions autour de moi, assez peu de gens.
J’essaie de voir ce qu’on nous balance dessus pour pouvoir anticiper : c’était ça avec les lacrymos, on pouvait voir dans le ciel le projectile exploser, puis les palets, prévoir où ils allaient tomber et s’éloigner ou s’approcher selon notre intention. Là, ce n’est plus le cas, on voit à peine la grenade en l’air, on ne voit rien retomber ni où.
Je me demande même comment c’est possible que ça ait l’air si petit et qu’il y ait pourtant autant de charge dedans. Un moment, une grenade explose à deux mètres de moi, je vois encore l’explosion, quarante centimètres de diamètre environ et un bruit énorme même malgré mes bouchons d’oreilles. Une autre explose derrière moi vers ma droite, je l’entends et je vois de la terre projetée sur moi. Pour autant, je n’aurais jamais senti le souffle que d’autres rapportent.
Autant, je ne sais plus la chronologie de ma fuite et de ma réflexion, autant je suis sûre que ces deux grenades ont explosées alors que j’étais au moins à 50 mètres des gendarmes, voire plus. Je me croyais d’ailleurs en sécurité à cet endroit. Encore aujourd’hui, je ne sais pas si c’est la fameuse GM2L ou un autre type de grenades assourdissantes (moins dangereuse?).

Je décide de me replier pour de bon, comme la totalité du cortège rose d’ailleurs. Les grenades pour nous s’arrêtent alors, on va vers le sud de la bassine pour rejoindre les autres cortèges. Je me retourne une dernière fois et vois quelques personnes au niveau de la Outarde, une quinzaine, les dernières, je crois qu’elles essaient de la ramener. Ils sont a plus de dix mètres des gendarmes. Et pourtant, je vois un objet rebondir sur la structure en bois, qui explose et le poitrail de l’animal avec. Je vois les débris de bois qui volent. J’ai peur que quelqu’un soit blessé, ça a l’air confus dans la Outarde. Finalement, ils repartent aussi en la laissant là. Ils se sont pris une grenade qui a explosé en hauteur, alors qu’ils ne représentaient aucun danger.

On apprend qu’un de nos amis est blessé, on le retrouve très vite, entouré d’autres gens qu’on connaît. Il est déjà pris en charge, une blessure dans la cuisse. Une partie du groupe part accompagner notre ami en le portant sur un brancard, pendant que le reste, dont moi, a pour charge de brûler les compresses de sang. Je crois à ce moment là que je fais tout pour ne pas voir les blesséXes.

Je fais le trajet de retour seule, pas envie de parler. Toujours 6km, mais mille fois plus long qu’à l’aller. J’enlève mes chaussures pour marcher pieds nus. Moi qui avait l’intention de partir le lendemain, on avance collectivement le départ au soir même. Les jours qui ont suivi ont été des moments de discussions, de soin, de débrief, de questionnements sur ce qu’il s’était passé, du nombre de blessés, de prise d’infos de ce qu’ont vécu les copaines dans leur propre cortège, et comment iels se sentent vis-à-vis de ça.

Sur l’annonce des 47 blesséXes parmi les gendarmes, au moins la moitié le sont à cause d’eux-mêmes. Entre celui qui s’étouffe par les gaz lacrymogène, et les 18 qui souffrent de « traumatisme sonore ». Nos décideurs sont stupides. Mais ils ont du pouvoir, et c’est dangereux.
On en parle encore énormément, deux semaines après, alors je suppose que le pari de la communication est gagné.
Les médias en parlent probablement très mal, aussi le cortège rose n’est jamais mentionné, mais les mégabassines sont devenu un sujet à débat. »

BARDANE

Je suis allée à Sainte-Soline parce que je me sentais plus ou moins inutile dans les luttes écologiques  et sociales, je voulais que mon énergie et mes convictions mises en commun avec d’autres gens puissent être écoutées. Je suis allée seule dans une région que je ne connaissais pas sans matériel de camping parce que je comptais rentrer avec des militants le soir même du samedi. Je savais /me doutais que cette manifestation serait historique et je voulais y être pour me dire que je ne servais pas à rien et que j’aurais été témoin de l’histoire.J’ai rejoint le cortège turquoise puis rose n’étant pas très à l’aise avec les contact avec les CRS.J’étais seule mais heureuse d’être là et cherchais à rejoindre une pote .

Dès le départ, on était suivis et surveillés par un hélicoptère ce qui était très oppressant et m’a marqué. J’ai pu rencontrer des militantes italiennes bien équipées et des personnes en maillot de bain. Déjà de loin on voyait la police tirer des bombes lacrymogènes sur la tête de cortège depuis la bassine.Ça m’a fait peur, je sentais que tout le monde dans le cortège avait peur mais avançait vaillamment coûte que coûte.
Il y avait beaucoup de personnes âgées et quelques jeunes parents et leurs enfants.
Par peur des projectiles des forces de l’ordre je suis restée à bonne distance pendant toute la manif et reculant parfois pour observer de loin.
Pendant 1h ou 2, le vent ramenait les gaz lacrymos sur eux ce qui m’a permis de ne pas être atteinte par les gaz.
Toutefois les LBD et grenades de désencerclement ont été lancées par la police très près de moi. On avait la sensation qu’ils étaient partout. La fanfare a joué jusqu’au bout même lors de blessures graves, cela faisait penser aux musiciens du Titanic.

Les quads sont arrivés derrière moi et ma pote ce qui nous a effrayées car on était encerclées. On a pu entendre très distinctement les policiers dire « On laisse partir ceux qui s’en vont et on fonce sur les autres ».
Ils étaient armés et tiraient depuis leurs quads. C’était démesuré par rapport à l’ambiance festives des militants.
Par peur j’ai décidé de m’éloigner avec ma pote à l’abri à côté des blesséXes.

Honnêtement, j’avais l’impression de ne servir à rien, je n’étais pas blessée et je ne soignais personne. On a commencé avec des gars à construire un brancard qui n’a jamais servi.
On a rencontré des éluXes européenXnes et sénateurXices qui ont témoignéXes auprès des médias.
Il y en a un qui pleurait de tristesse de frustration ou de colère.

Tout le monde se sentait dépasséXes par la violence de la police.

On a quitté les lieux avec un cortège de manifestantXes au bout d’environ 4h, beaucoup étaient dépitéeXs, tristeXs et silencieuseXs.
Personne ne chantait et on était déçuXes par ce qu’on ressentait comme un échec. La gravité des blessures dépassait notre entendement et on avait l’impression d’avoir été inutiles et d’avoir été misXes en danger pour rien.

Au retour j’ai fait une crise de panique parce que finalement je ne connaissais personne qui rentrait le soir même et je voulais à tout prix rentrer chez moi pour me sentir en sûreté. On s’enfonçait dans la boue, je me tordais la cheville dans les trous du terrain et j’étais trempée. J’ai compris que peu de gens partaient ce soir-là et ai croisé quelques connaissances qui ont essayées de m’aider.
Je craignais que la police revienne. Heureusement, le campement s’en allait à Melle pour faire la fête et j’ai pu trouver une tente et une voiture pour m’y emmener. L’ambiance à Melle était plus chaleureuse et détendue et j’ai eu le contact d’une personne qui rentrait à Nantes ce qui m’a énormément soulagée et permis de profiter de l’ambiance festive de la fête de Melle. Ces différentes personnes qui m’ont aidées alors que je ne les connaissais pas et que j’étais livrée à moi-même, je ne les remercierai jamais assez.
La solidarité et l’amabilité des gens me faisait me sentir en confiance et un peu plus en sécurité.
La fête organisée par les Soulèvements de la Terre à Melle était très bien organisée et j’ai pu avoir accès a de la nourriture chaude et des sanitaires.

Je suis jeune et mes parents n’étaient pas du tout au courant que j’étais à cette manif.
Une amie au téléphone m’apportait du soutien et me rassurait.

Je ne sais pas si je referais une manif de ce type-là car je me suis sentie en danger de mort et n’ai pas eu l’impression d’avoir été activement utile.
Après la manif, je me suis sentie stressée dès que je voyais un avion dans le ciel de peur que ce soit un hélicoptère et j’ai pleuré en étant à une manifestation où la police n’est pas intervenue, juste par leur présence et le bruit de la manif.

Je ne regrette pas d’avoir été à Sainte-Soline et j’en suis fière.
Je suis fière de lutter pour mes valeurs et mes droits en tant qu’habitante de la planète.
Je suis fondamentalement déçue et choquée par le comportement de la préfète, des policiers et de l’État qui condamnent les violences lors des manifestations et félicitent la police pour leur « bravoure » alors qu’ils sont lâches à tirer sur des gens non armés. J’ai honte du gouvernement et ne le reconnais pas.

Je continuerais à lutter pour nos droits à l’eau potable pour toustXes mais ne suis pas prête à refaire des actions comme celles-ci avant un moment. »

En 2021, 16 ouvrages avaient été validés.

Après cette mobilisation historique pour que l’eau reste un bien commun, le mardi 11 avril, le tribunal administratif de Poitiers a tout de même validé la construction des 16 retenues d’eau pour l’irrigation agricole sur le bassin de la Sèvre Niortaise.

Le juge a estimé que les projets n’avaient pas « d’incidences significativement défavorables pour l’environnement ».

La méga-bassine de Sainte-Soline n’a également pas été considérée comme illégale malgré un recours déposé contre sa construction.

Cette mobilisation a permis que ce combat soit médiatisé à grande échelle. Dramatiquement car une personne est toujours entre la vie et la mort.

Après ce weekend de mobilisation, le ministre de l’intérieur et des Outres-mer Gérald Darmanin a aussi annoncé la dissolution du collectif Les Soulèvements de la Terre. Un vent de solidarité a soufflé et des milliers de personnes ont signée la tribune contre cette dissolution. Actuellement, Les Soulèvements de la Terre sont toujours debout.

La lutte contre l’accaparement de l’eau continue, les plaies continuent d’être pansées, nous sommes le peuple de l’eau.

Temps de travail :

  • Prises de sons par Pistache et San, 5h
  • Prises d’images par San 8h
  • Rédaction de l’article par Rustine et San, 5h
  • Montage du podcast par Rustine, 13h
  • Sélection et traitement des photos par San, 20h
  • Relecture, correction et réécoute par Suvann, 1h

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