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Un millier de personneXs contre le patriarcat à Nantes

Mardi 8 mars, lors de la journée internationale pour les droits des femmes, un millier de manifestanteXs ont défilé dans les rues de Nantes, contre le patriarcat et pour un antisexisme tenant compte de toutes les discriminations.

À Nantes, c’est une version inédite de la Journée internationale pour les droits des femmes à laquelle ce millier de personneXs a pris part. Repensée dans une volonté d’inclusivité, cette journée a ainsi été renommée la Journée internationale de lutte contre le patriarcat, à l’initiative de plusieurs collectifs militants nantais composés de personneXs sexiséeXs (comprendre : qui subissent le sexisme) : Colleu·x·se·s Nantais·e·s, QRAM, TransInterAction, Collages Queer Racisé·es·x, Classe Attaque, Reboo-T et NOSIG. Sur une même place, Royale, se sont succédées deux actions distinctes : un rassemblement dès le milieu d’après-midi à l’appel d’associations et de collectifs féministes « traditionnels », rejoints par les organisations syndicales Solidaires, CGT et FSU ; puis, à partir de 18h, une manifestation à l’appel des collectifs précédemment cités.

Sur les coups de 18h, un millier de militanteXs étaient donc présenteXs pour le démarrage de la manifestation, dans une ambiance festive et revendicative, avec une profusion de pancartes et de banderoles aux slogans tantôt humoristiques, tantôt amers. Le mot d’ordre était alors de dépasser le cadre historique de la Journée internationale pour les droits des femmes cisgenres, en s’inscrivant dans des revendications plus larges. Le communiqué de l’appel à manifester était limpide : cette manifestation avait pour objectif de dénoncer le caractère systémique des oppressions sexistes et de les penser à l’intersection des dominations racistes, classistes, LGBTQIAphobes, validistes, putophobes, grossophobes, etc. Les victimes du système patriarcal français contemporain le sont certes sur la base de leur genre, mais également et de manière différenciée, en fonction de leur orientation sexuelle, race sociale, classe sociale, religion, handicap(s), âge, corpulence et apparence. La liste est non-exhaustive ; les violences et discriminations qui y sont liées sont bel et bien existantes. Existantes mais invisibilisées dans un système capitaliste et patriarcal, où les normes dominantes sont le fait d’hommes, hétérosexuels, blancs et cisgenres (les fameux HSBC dans le jargon anti-patriarcal).

Les prises de paroles lors du rassemblement précédant la manifestation, puis les slogans entonnés tout au long du défilé qui s’en est suivi, se sont donc inscrites dans cette logique inclusive : dénoncer les oppressions sexistes, aussi bien que les points aveugles des courants féministes qualifiés de « blancs, cis, valides et bourgeois ». Le cortège a ainsi arpenté les rues du centre-ville de Nantes au son de revendications énergiques : antisexistes, antiracistes, décoloniales, anticapitalistes, anti-putophobie, anti-transphobie, anti-grossophobie. Les organisateuriceXs étant soucieuseXs de permettre au plus grand nombre de défiler en se sentant en sécurité, un « espace calme » – voulu à l’abri des débordements tant sonores que physiques – a donc été mis en place dans le cortège (iels reconnaîtront par la suite que le dispositif n’a pas totalement rempli sa fonction et qu’il est à repenser pour de futures manifestations).
Par ailleurs la tête de cortège était volontairement en « non-mixité sexisée » : les hommes cisgenres « alliés » étaient les bienvenus mais appelés à défiler en retrait du bloc de tête. Sur le parcours, des fumigènes ont été craqués et des torches enflammées, éclairant et colorant le cortège ; l’utilisation d’une poignée d’engins pyrotechniques a en revanche été déplorée, pour leur dangerosité, par certaineXs organisateuriceXs.

Peu après 20h et après deux boucles dans les rues nantaises par le Cours des Cinquante Otages, les rues de Feltre, Boileau, Crébillon, Strasbourg, ainsi qu’un passage furtif devant la préfecture sans s’y arrêter, la manifestation a pris fin place Royale. D’ultimes prises de paroles – traduites en langue des signes française – remerciaient les participanteXs et appelaient à poursuivre les luttes et à œuvrer pour leur convergence. Notons que, contrairement à la manifestation de l’année dernière, les forces de l’ordre ne sont pas intervenues. Elles se sont contentées d’accompagner le cortège de près, probablement titillées par la profusion des chants antifascistes et des revendications anti-institutions et anti-police en particulier. Les murs de la ville sont quant à eux sortis de la manifestation embellis d’un grand nombre de revendications antisexistes et antifascistes.

Comme lors de la manifestation de l’année précédente à Nantes, on a pu constater ce 8 mars que « toutes les féministes » n’ont pas fait front commun. Un rappel indispensable : les collectifs se revendiquant féministes sont divers et variés et ont leur propre définition de ce que terme recouvre. À Nantes comme ailleurs, la lutte antisexiste s’est organisée de façon à se séparer de certains mouvements, notamment ceux qui instrumentalisent les luttes féministes pour répandre une propagande raciste et/ou transphobe. C’est notamment le cas du collectif Némésis, composé de « féministes identitaires », dont un des objectifs est de « dénoncer l’impact dangereux de l’immigration de masse sur les femmes occidentales ». Tout un programme. Une rhétorique fémonationaliste dont une des figures de proue est, en France, la ministre déléguée Marlène Schiappa. Cette dernière use en effet régulièrement de la carte du féminisme blanc-bourgeois, pour diffuser et légitimer ses idées sécuritaires, islamophobes et racistes.
Impossible, également, de lutter avec des collectifs transphobes (communément appelés TERF, acronyme anglais de trans-exclusionary radical feminist), comme les Amazones, pour lesquels il n’existerait que deux genres intrinsèquement définis par les organes génitaux. Ces dernières considèrent donc que seules les femmes cisgenres seraient victimes de violences patriarcales et vouent une haine profonde aux personneXs trans et/ou non-binaireXs, qu’elles n’hésitent pas à harcèler en ligne sur les réseaux sociaux ou encore à agresser physiquement, comme lors de la Pride 2021 de Paris. Leurs discours transphobes s’opposent au droit des personneXs trans et non-binaireXs, de même qu’au respect de leur identité de genre et à leur autodétermination.

Hors de question également de continuer à laisser la place aux discours et collectifs abolitionnistes, communément appelés SWERF (acronyme anglais de sex worker-exclusionary radical feminist), qui pensent qu’il faut abolir la prostitution pour « en libérer les victimes ». Les travailleureuseXs du sexe le disent et le répètent : ce n’est pas en criminalisant et interdisant la prostitution qu’iels seront protégéeXs. Au contraire, iels militent pour une reconnaissance de cette activité comme un métier à part entière, pour que celleuX qui l’exercent aient accès à une protection du travail, une assurance sociale, et puissent avoir des ressources pour dénoncer les violences qu’iels vivent, lorsqu’elles ont lieu. Loin de faire l’apologie de la traite ou de banaliser la prostitution, comme les abolitionnistes le prétendent, les travailleureuseXs du sexe appellent à laisser le choix et la possibilité à chacuneX de pouvoir exercer son métier en étant protégéeX. Dès lors, la criminalisation des clienteXs et les lois répressives ne sont pas des réponses adaptées. Au contraire, elles mettent en danger des personneXs déjà précaireXs.
Enfin, on ne peut nier qu’il existe encore de nombreux collectifs autoproclamés inclusifs, alors qu’ils continuent d’être majoritairement constitués de personneXs cis, blancheXs, valideXs, hétérosexuelleXs qui, en brandissant la carte des « bonnes intentions » perpétuent en leur sein des violences racistes, validistes, LGBTQIA+phobes, tout en s’appropriant les lauriers de la « lutte féministe ». Malheureusement, pas un jour ne passe sans que des personneXs dénoncent en France des violences subies (et niées) au sein même de collectifs de lutte prétendant être des « espaces safes » .

Il y a urgence à écouter celleuX qui sont concernéeXs par les oppressions, et cela, la manifestation nantaise du 8 mars l’a bien rappelé : par et pour nous. Cette manifestation a aussi démontré la pertinence et la vivacité des collectifs mobilisés dans l’organisation, dénonçant les multiples vecteurs de domination structurant notre société et appelant à s’organiser pour les démanteler. L’espoir est dans la lutte.

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