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Rencontre avec la réalisatrice Anne Paq : dénoncer l’apartheid israélien depuis l’Europe

Dans le cadre de la 5e édition de la semaine du film palestinien en Loire-Atlantique, organisée par l’Association France-Palestine Solidarité 44, nous avons rencontré Anne Paq, co-réalisatrice du documentaire « Not Just Your Picture ».

Ce sont 10 films qui ont été projetés du 25 janvier au 6 février 2022, dans 18 salles de Loire-Atlantique, avec des rencontres et débats en fin de séance, en présence du ou de la réalisatrice et/ou d’experteXs. L’occasion d’aborder le quotidien du peuple palestinien, à travers des œuvres de fiction, mais aussi des documentaires.

Dans le cadre de ce festival, notre équipe s’est donc rendue le 28 janvier à la projection du documentaire «Not Just Your Picture», d’Anne Paq et de Dror Dayan, diffusé au cinéma Saint-Paul de Rezé. La séance s’est tenue en présence d’Anne Paq, autrice et co-réalisatrice, également photographe et journaliste, ayant travaillé à plusieurs reprises en Palestine occupée. « Not Just Your Picture » est un documentaire qui raconte l’histoire de Layla et Ramsis Kilani. Né·e·s et élevé·e·s en Allemagne, iels apprennent soudainement le décès de leur père, Palestinien retourné vivre en Palestine, de même que celui de sa nouvelle épouse et de leurs cinq enfants, tuéeXs lors des bombardements israéliens à Gaza en 2014. De ce drame, naît une nouvelle forme d’éveil politique pour Ramsis et Layla, ainsi qu’une volonté de renouer avec leurs racines palestiniennes. Le documentaire dépeint avec justesse la distance qui sépare les deux jeunes adultes vivant en Europe, de toute leur famille vivant à Gaza, mais aussi la tendresse qui les unit. Ce film est enfin un témoignage de leur combat pour que justice soit rendue à leurs proches assassinéeXs.

En amont de la diffusion de son documentaire, Anne Paq nous a accordé un peu de son précieux temps (ce dont nous la remercions chaleureusement), ce qui nous a permis de la questionner par rapport à son film, mais aussi de faire le point avec elle sur la situation en Palestine, notamment à Gaza, où elle s’est rendue à plusieurs reprises. Bien que cet article paraisse tardivement par rapport à la date de réalisation de cette interview, son contenu n’en reste malheureusement pas moins d’actualité. En effet, plusieurs événements en Palestine occupée, ainsi qu’à l’échelle internationale, ont eu lieu depuis notre rencontre avec Anne Paq, y compris très récemment. Tout d’abord, début février 2022, l’ONG Amnesty International a rendu un rapport dénonçant l’apartheid commis contre la population palestinienne par les autorités israéliennes, le qualifiant de crime contre l’humanité.

Le rapport est long et détaillé, certains passages explicitant clairement la situation que subissent les PalestinienneXs :
« Depuis sa création en 1948, Israël mène une politique explicite visant à instituer et à entretenir une hégémonie démographique juive et à optimiser son contrôle sur le territoire au bénéfice des juifs et juives israéliens, tout en minimisant le nombre de Palestiniens et Palestiniennes, en restreignant leurs droits et en les empêchant de contester cette dépossession. En 1967, Israël a étendu cette politique au-delà de la Ligne verte, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qu’il occupe depuis cette date. Actuellement, tous les territoires contrôlés par Israël restent administrés en vue de favoriser les juifs et juives israéliens au détriment de la population palestinienne, tandis que les réfugié·e·s palestiniens demeurent exclus. »

Plus loin, le rapport précise les conditions matérielles dans lequel cet apartheid est mis en œuvre par les autorités occupantes :

« Lorsqu’ils ont créé Israël en tant qu’État juif en 1948, ses dirigeants ont été responsables de l’expulsion de masse de centaines de milliers de Palestinien·ne·s et de la destruction de centaines de villages palestiniens pouvant être qualifiées de nettoyage ethnique. Ils ont choisi de contraindre la population palestinienne à vivre dans des enclaves au sein de l’État d’Israël et, à la suite de l’occupation militaire en 1967, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ils ont accaparé l’immense majorité des terres et des ressources naturelles des Palestinien·ne·s. Ils ont introduit des lois, des politiques et des pratiques qui instaurent des discriminations cruelles et systématiques à l’encontre de la population palestinienne, ce qui aboutit à une fragmentation géographique et politique des Palestinien·ne·s, qui vivent dans un état permanent de peur et d’insécurité, et souvent dans la pauvreté.

Pendant ce temps, les responsables d’Israël ont ancré dans le droit et la pratique le privilège systémique des citoyens juifs au moyen de l’affectation de terres et de ressources, ce qui leur permet de vivre dans une richesse et un bien-être relatifs aux dépens des Palestinien·ne·s. Ils ont régulièrement étendu les colonies dans les territoires palestiniens occupés, ce qui constitue une infraction du droit international. »

La qualification de crime d’apartheid par Amnesty International, terme d’ores et déjà utilisé par le peuple palestinien et celleuX qui le soutiennent depuis des décennies, ne peut qu’être salué. Il reconnait enfin ce que les organisations palestiniennes de défense des droits humains n’ont cessé d’affirmer et de dénoncer, montrant bien l’inadaptation de l’expression « conflit israélo-palestinien », pourtant fréquemment utilisé dans les médias, pour qualifier les réalités quotidienne de la vie en Palestine occupée. Cette reconnaissance illustre également, comme l’explique Anne Paq dans notre interview, une prise de position et un changement de narration. Une qualification à la hauteur des crimes commis par l’état israélien, qui devrait amener les états européens à prendre leurs responsabilités en arrêtant de soutenir un régime criminel, et en faisant pression sur les colons, afin que justice soit faite.

Pourtant, la réponse en France est bien loin d’aller dans ce sens, au contraire. Le 24 février 2022, lors du discours d’Emmanuel Macron, lu par Jean Castex, au 36e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France, le président de la République a dénoncé l’utilisation même du terme apartheid : « il n’est pas acceptable qu’au nom d’un combat juste pour la liberté, des associations abusent de termes historiquement chargés de honte comme pour qualifier l’État d’Israël. Comment oser parler d’apartheid dans un État où les citoyens arabes sont représentés au gouvernement, au Parlement, occupent des postes de direction et des emplois à responsabilité, où tous les citoyens, quelle que soit leur religion, ont compris que leur seule espérance est la paix ensemble ? Ce n’est pas en affirmant de telles contre-vérités que des associations qui prétendent poursuivre un objectif de paix remplissent leur vocation. »

Ces propos, qui continuaient donc de nier la situation que vit le peuple palestinien, plus de trois semaines après la publication du rapport d’Amnesty International, amorçaient sans doute la suite. En effet, le jour même, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a ainsi annoncé vouloir dissoudre deux collectifs de défense de la cause palestinienne : le Collectif Palestine Vaincra et le Comité Action Palestine, qu’il accusait tous deux sur Twitter d’« appel à la haine, à la discrimination, à la violence ». Leur dissolution, votée en conseil des ministres le 9 mars dernier, vient fort heureusement d’être suspendue, après que le Comité Action Palestine et le Collectif Palestine Vaincra se soient mobilisés en déposant un recours en référé-liberté devant le Conseil d’État. La plus haute des juridictions de l’autorité administrative a ainsi jugé que le décret prononçant leur dissolution n’était « ni nécessaire, ni adapté », et qu’il portait « une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté d’association ».

Cette interview marque le début d’une série de plusieurs articles et interviews, qui porteront sur la Palestine et la lutte menée par le peuple palestinien et sa diaspora. Le prochain article reviendra sur la Nakba (« la catastrophe »), moment fondamental dans l’histoire de la Palestine occupée. Il aura également pour objet de rendre hommage, à son échelle, à la journaliste Shireen Abu Akleh, tuée par les forces d’occupation israéliennes à Jénine, le 11 mai 2022, alors qu’elle exerçait son métier de journaliste .

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