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Culture et droit de manifester : éléments essentiels à notre émancipation

À l’occasion de la journée nationale de mobilisation pour la défense du secteur culturel, le monde du spectacle s’est joint à la mobilisation contre la loi « sécurité globale » ce mardi 15 décembre 2020.

Préfecture de Nantes, 17h30. Quelques centaines de personnes sont présentes, répondant à l’appel de la coordination nantaise contre la loi « sécurité globale ». Au micro, la représentante du Syndicat des Avocats de France rappelle les risques liés à la mise en place de ce texte de loi. Elle dénonce également les trois décrets du 2 décembre 2020, qui porte une atteinte directe aux libertés individuelles en permettant aux policiers et aux gendarmes le renseignement et l’exploitation de données telles que les opinions politiques, les convictions philosophiques et religieuses ou encore l’appartenance à un syndicat.

En revanche, pas un mot concernant la loi « séparatisme/confortant le respect des principes de la République », pourtant dénoncée lors de la dernière mobilisation (voir notre article précédent à ce sujet). Rappelons que ce projet de loi contient d’ailleurs, dans son article 18 (anciennement article 25), l’équivalent de l’article 24 de la loi « sécurité globale », concernant la diffusion des images des forces de l’ordre. Un projet de loi qui stigmatise toute une partie de la population française, en s’attaquant directement aux musulman·e·s, sous couvert de défense de la laïcité et de l’unité républicaine. Ce choix de ne pas parler de ce texte de loi fait écho à la désolidarisation de la coordination nationale « Stop Loi Sécurité Globale » de la manifestation parisienne organisée par le Collectif du 10 Novembre contre l’Islamophobie samedi 12 décembre 2020, manifestation réprimée très brutalement et avec un grand nombre de manifestant·e·s fouillé·e·s, empêché·e·s de manifester, blessé·e·s et placé·e·s en garde à vue. Un choix qui questionne car il suggère un désintérêt et un abandon des syndicats et des associations, qui a pour effet d’invisibiliser ce texte de loi et le combat de celles et et ceux qui le dénoncent.

Après les quelques prises de parole de la coordination nantaise, les manifestant·e·s ont eu la surprise d’apprendre que le rassemblement resterait statique, laissant place à une ambiance morose, rompue par une tentative d’open-mic par un rappeur local. Heureusement pour les quelques centaines de personnes présentes devant la préfecture, le cortège de la manifestation pour la défense du monde de la culture a fait son arrivée en musique et en lumières, accompagné par un camion-sono demandant aux manifestant·e·s de ne pas avoir recours à la violence, tout en diffusant, paradoxalement, un morceau appelant à la révolution. Co-signé par plus d’une vingtaine d’organisations syndicales et de fédérations locales, l’appel national que nous partageons ci-dessous a réuni plus d’un millier de personnes rassemblées place Graslin, qui ont convergé ensuite vers la préfecture.

LA CULTURE SACRIFIÉE : MOBILISONS-NOUS ENSEMBLE!

Les annonces du Premier Ministre du 10 décembre ont provoqué un élan de colère et d’incompréhension dans toutes les professions du spectacle et du cinéma. D’un seul coup, la promesse d’une demi-réouverture est devenue une prolongation de fermeture, au moins jusqu’au 7 janvier, et certainement au-delà.
La méthode surprend et n’est pas acceptable : aucune concertation comme le recommande le conseil scientifique lui-même, aucune prise en compte des protocoles sanitaires très stricts mis en place dans les lieux de spectacle et de cinéma, ou consacrés aux arts visuels, aucune prise en compte de la mobilisation et du travail des équipes artistiques et des lieux qui ont œuvré sans relâche pour être au rendez-vous !
Les lieux de culture ne sont pas traités équitablement avec les lieux de culte, aux conditions pourtant équivalentes en termes d’espace et d’accueil du public.
Des recours en référé liberté vont être déposés. Un grand nombre d’organisations s’associent à ces démarches.
La Ministre de la Culture a été dépêchée pour éteindre l’incendie en annonçant 35 millions € d’aides, un montant qui ne couvre pas l’ensemble des dégâts. Nous exigeons qu’elles soient fléchées pour soutenir l’emploi direct des artistes et technicien-ne-s et l’activité des autrices et auteurs.
Toutes les structures ne sont pas soutenues de la même manière. Toutes doivent l’être pour maintenir la vitalité de notre écosystème ! N’en laissons aucune disparaître ! Le plan de relance et la loi de finances pour 2021 sont déjà dépassés et n’apportent pas de moyens à la hauteur de la crise.
Pour que nos secteurs survivent et que le public nous retrouve, nous avons besoin de réponses à nos exigences :

-Nous voulons un soutien pour travailler quand même : résidences de création et répétitions doivent être financées ;

-Nous voulons un soutien à la diversité d’action et d’éducation artistiques et culturelle, notamment en conservatoires ;

-Nous voulons la garantie de tous les droits sociaux, dont l’accès est de plus en plus compromis (assurance chômage, sécurité sociale, protection complémentaire, médecine du travail…) ;

-Nous voulons être associés à toutes les décisions y compris sanitaires pour permettre la réouverture au plus vite et l’accueil du public en salles comme dans l’espace public.

Sans réponse positive à ces demandes formulées depuis plusieurs mois, nous envisageons d’ouvrir les lieux en janvier !

Malgré l’annonce d’un rassemblement prévu et autorisé jusqu’à 19h00, les syndicats et organisations contre la loi « sécurité globale » ont quitté les lieux, suivis de près par le camion-sono de la manifestation pour la défense de la culture, laissant les manifestant·e·s entouré·e·s par un dispositif répressif démesuré. L’omniprésence des forces de l’ordre dans toutes les rues adjacentes à la préfecture, contrôlant l’accès et le départ des lieux et provoquant une sensation d’oppression, a aussi causé le départ de nombreu·x·ses personnes, craignant de se faire nasser et charger sans possibilité de s’échapper. Rapidement, le nombre de personnes rassemblées a diminué de façon significative, passant de près de 2000 à 300 manifestant·e·s. Les personnes restantes ont essayé à deux reprises de quitter la préfecture en direction du cours Saint Pierre, sans succès. Accueilli·e·s par de nombreux gaz lacrymogènes, iels ont ensuite tenté de se diriger vers le centre-ville de Nantes, mais ont dû renoncer après avoir été repoussé·e·s par les canons à eau, sous la surveillance d’un hélicoptère, outils des forces de l’ordre de retour après une absence appréciable lors des dernières mobilisations. Le rassemblement a pris fin peu de temps après 19h00, laissant un sentiment de colère et de déception palpables, notamment causés par l’annonce sur place de l’absence de cortège commun.

Une fois de plus, la nécessité d’organiser la convergence des luttes est indéniable, au vu du déroulé général de cette mobilisation. Comme nous l’a indiqué une militante de l’union syndicale Solidaires, les membres de la coordination nantaise contre la loi « sécurité globale » n’étaient pas en lien avec les organisat·eurs·rices de la manifestation pour la défense du milieu culturel, alors que cette dernière répondait à un appel national largement relayé. Ce manque de communication et de convergence pose question, dans un contexte sécuritaire et de plus en plus autoritaire, notamment avec la mise en place du couvre-feu, contexte qui génère des interdictions de manifester comme ce fut le cas samedi dernier à Nantes. Le mutisme de la coordination nantaise contre la loi « sécurité globale » vis-à-vis du texte de loi « séparatisme/confortant le respect des principes de la République » s’ajoute à ce manque de communication et de convergence, faisant craindre l’isolement de chacune des luttes et le triomphe total des offensives néolibérales, racistes et fascistes. C’est donc ce séparatisme des élites qu’il nous faut identifier et combattre, si l’on veut réussir à défendre les libertés fondamentales et individuelles de toustes.

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