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« No Bassarán » : silence, on privatise l’eau

Samedi 29 octobre 2022, à Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres, plusieurs milliers de personneXs se sont rassembléeXs pour la 4ème mobilisation d’action directe contre les méga-bassines, à l’initiative des Soulèvements de la Terre, des Bassines Non Merci et de la Confédération Paysanne.

Depuis notre dernier article sur le sujet en novembre 2021, différentes actions ont été menées pour demander l’arrêt de tous les projets de méga-bassines. Notre photojournaliste Suvann avait suivi le printemps maraîchin en mars. Et depuis l’été et les prévisions de démarrage du chantier de méga-bassines, les collectifs cités annoncent qu’une mobilisation se tiendra trois semaines après le début du chantier, et déjà le mot d’ordre est : « Pas une bassine de plus ! ». Lorsque le chantier commence, les trois organisations rappellent leur ultimatum et très rapidement, à travers la France, plus d’une centaine de collectifs et associations signent leur appel. Le prochain acte pour dire non à ces infrastructures se tiendra donc à Sainte-Soline, en opposition au chantier d’une méga-bassine d’une superficie de 650 000 m², l’équivalent de 260 piscines.

Malgré les nombreux arrêtés préfectoraux, la mobilisation est maintenue et attend l’arrivée des opposanteXs aux bassines. Pour ces militanteXs, l’eau n’est pas une ressource privée, son accaparement par une poignée d’individus n’est pas une option.

À 10h ce samedi 29 octobre, après un long convoi bien escorté par les organisateuriceXs, nous arrivons sur le camps. Nous faisons face à une zone déjà bien investie. Tentes, voitures, chapiteaux, bar et stands : tout est déjà installé. Selon l’orga, près de 2500 personneXs étaient sur place dès le vendredi soir.

L’ambiance est directement donnée pour la journée, les cagoules sont vêtues et les politiques présenteXs sont interviewéeXs. Il faut dire que cet événement mobilise aujourd’hui l’intérêt politique à grande échelle. La NUPES, le NPA et EELV étaient présents. Iels n’ont pas toustes essuyé le même accueil, en témoigne le discours hué de Yannick Jadot ou encore sa voiture taguée « Creuvard ». Tandis que le discours de Philippe Poutou est, lui, applaudi.

Dès notre arrivée, nous sommes informéeXs de la répartition en trois convois : un rouge, un vert et un blanc. Il est annoncé que le cortège blanc sera celui des familles, des personneXs âgéeXs, des élueXs, ou touteX autreX personneX qui souhaite prendre le chemin le plus court et le plus praticable, mais aussi le plus « calme ». Tandis que le cortège rouge et le vert ont pour objectif d’étendre le dispositif policier ahurissant, le long de toute la départementale. Avec pour objectif, soit de le contourner, soit d’y ouvrir une brèche et de s’y engouffrer pour atteindre la méga-bassine visée. Ne sachant pas trop lequel choisir, notre choix se porte sur le vert, après un chifoumi.

Après un pique-nique, des échanges et des discours, les cortèges sonnent le départ. Du bleu et du noir, ce sont les couleurs arborées par la majorité des opposanteXs aux bassines comme le voulait le dress-code (tenue suggérée par les organisateuriceXs).

Chants et percutions lancent la marche à travers champs, il faut rejoindre la méga-bassine qui se trouve à quelques kilomètres du camps de départ. Face aux cortèges, la départementale D55. Celle-ci est bloquée par les forces de l’ordre bien équipées et nombreuses, 1700 gendarmes mobiles. S’ajoute à ce chiffre presque irréel, 7 hélicoptères (!!!) qui se relayent et couvrent les différents cortèges. 

Chez les verts, la marche se poursuit mais seulement quelques minutes après son départ, les premières pluies de lacrymogène tombent, lancées par les cougars 56mm (arme propulsant les grenades lacrymogènes). La réponse du cortège vert est instantanée et déterminée (renvois de palets, jets de pierres…). Parmi cette foule et ce brouillard de lacrymo, un lièvre et un chevreuil fuient la zone, sauve qui peut !

La marche s’intensifie, pour prendre de vitesse les gendarmes et les contourner. Après plusieurs longues minutes à courir, renvoyer les palais de lacrymo et essuyer des tirs de LBD 40mm, le cortège vert entre dans Sainte-Soline. À travers ses ruelles et jardins privés (mais sans l’accord de leurs propriétaireXs), les militanteXs passent le premier barrage des forces de l’ordre et sortent du village. C’est alors qu’une personneX de l’orga annonce que le cortège rouge est parvenu jusqu’à la bassine ! Victoire et moment de joie dans la foule. Mais la fatigue se fait sentir et il y a des blesséeXs, la répression a été violente. Certifiée : « maintient de l’ordre, un savoir-faire français » exporté à travers le globe. 

Le cortège vert repart à vive allure en direction de la bassine, avec l’espoir d’y arriver rapidement pour soutenir l’équipe rouge qui subit une violente répression due à son entrée dans la bassine. Au loin, les détonations des grenade GM2L ne laissent aucun doute à ce sujet.

Après plus d’1h30 à marcher et courir à travers champs et ruelles, le cortège vert rejoint celui des rouges. Iels ont été expulséeXs, pas assez nombreuseXs et surtout piégéeXs par la nature de l’avancement du chantier : un trou béant surplombé de talus de terre où les forces de l’ordre pouvaient se positionner pour réprimer à loisir les manifestanteXs. C’est alors qu’un face-à-face d’une bonne heure démarre. CertaineXs tentent un sitting (s’assoir sans violence) devant les gendarmes, d’autres tentent des percées plus violentes et déterminées, mais rien n’y fait, les gendarmes sur-équipés sont désormais plus nombreux (tous ceux mobilisés par le cortège vert sont allés sur la bassine lorsque le cortège rouge avait atteint l’objectif). Les militanteXs ne parviennent pas à retourner sur le chantier de la bassine, et les innombrables pluies de grenades forcent à faire, finalement, le décompte des blesséeXs. Une cinquantaine sont blesséeXs dont 3 ayant reçu un tir de LBD à la tête, 5 hospitaliséeXs (dont uneX arrêté à l’hôpital), 15 blessures ouvertes. Un chiffre qui témoigne de la violence et de la répression qu’ont subi les opposanteXs aux bassines.

Un premier cortège regroupant personnes blesséeXs, choquéeXs, apeuréeXs et fatiguéeXs repart en direction du camp. Pour le reste, les affrontements se poursuivent. Derrière les banderoles et les parapluies, des blocs se créent à nouveaux, notamment à l’initiative du cortège vert, en effet n’ayant pas investi la bassine, le sentiment d’échec peut se faire sentir parmi ses occupanteXs. Feux d’artifices et projectiles sont lancés en direction des forces de l’ordre. Mais rien y fait, la répression est sans relâche : lacrymo, GM2L, désencerclantes et tirs de LBD. On peut même apercevoir un fusil jaune, un lanceur EMEK EMF 100 utilisé comme un paintball. Celui-ci contient des produits de marquage codés. Il est censé servir à l’identification ultérieure des personneXs touchéeXs sur leur vêtement et marquéeXs, pour ensuite les confondre en justice. Une arme qui avait déjà été remarquée lors de l’action en mars dernier à la Ronechard dans le 79.

Mais la fatigue se fait sentir, et envahir à nouveau le chantier semble peine perdue. Le cortège de retour est finalement formé, puisque sans cesse des personneXs retournent au camp, et vers 16h40 les trois-quarts des militanteXs sont sur le chemin du retour. Les forces de l’ordre restent à garder le chantier. Néanmoins des hélicoptères suivent le cortège depuis le ciel. S’ensuit un moment convivial autour de discussions entre cortège et militanteXs mais également une prise en charge des blesséeXs dans une tente de médic, ou directement transportéeXs pour des prises en charge par des professionnelleXs.

Les jours suivant cette grosse journée de mobilisation des chantiers ont été effectués pour établir un peu plus le camp, des actions de sabotage ont été menées, pour notamment détruire une des trois captations d’eau de cette future bassine. Après plus d’une semaine d’arrêt des travaux, ceux-ci ont repris le 7 novembre, et le camp était expulsé le lendemain malgré son implantation sur un terrain privé, et le même jour le préfet donnait son accord pour la construction d’une trentaine de bassines dans la Vienne. La lutte pour l’eau ne fait que commencer, et pour l’instant, elle est accaparée par l’agro-industrie.

Temps de travail :

  • Prises d’images par Choupette, Liloo et Suvann, 3 fois 4h
  • Rédaction de l’article par Choupette, Liloo et Suvann, 2h15
  • Sélection des photos par Choupette et Suvann, 1h; traitement des photos par Choupette, Liloo et Suvann, 3 fois 45min
  • Relecture et correction par Rustine, 45 min

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